Maroc, le culte de la personnalité du roi
Le 9 mars, dans un discours à la nation, le roi Mohammed VI annonçait une prochaine réforme constitutionnelle. Depuis lors, une question est désormais sur toutes les lèvres : est-ce suffisant ?
Le changement de Constitution est indispensable, et donc le bienvenu. Mais hélas, dans son discours le roi, en fixant lui-même, point par point et donc de manière stricte, le cadre de cette réforme, prouve qu’il demeurera au centre du pouvoir. Ici, je joins ma voix à celle de ceux, qui depuis des années – depuis 1962 pour les plus anciens – réclament l’élection d’une Constituante.
Au reste, la loi fondamentale actuelle n’explique pas à elle seule le sentiment d’étouffement éprouvé par de nombreux Marocains. Les mentalités, les comportements au quotidien, les méthodes de gestion des affaires de la nation constituent autant de sources de vexations et de violations des droits humains. Le texte ci-dessous en dépeint un exemple : le culte de la personnalité du roi.
Les régimes politiques arabes ont en commun de cultiver le culte de la personnalité du chef de l’État, que celui-ci soit émir, président ou roi. Au Maroc, sévissant depuis des décennies, le culte de la personnalité s’est ancré dans les mentalités. Dans les journaux, à la télévision, dans les halls d’immeubles, dans la rue, sur les billets de banque, les pièces de monnaie, les timbres postes, partout, même dans les endroits les plus improbables, la silhouette du roi Mohammed VI est omniprésente, s’affiche avec ostentation. Les cafetiers et les pâtissiers placardent aux murs de leurs établissements des portraits qui montrent le monarque alaouite un verre de thé à la main. Dans les magasins, les salles de sport et les stades, des photographies aux dimensions imposantes donnent à voir un roi à l’allure et à la posture qui se veulent sportives. Dans les administrations, les portraits sont généralement plus sobres ; on y voit le souverain assis sur son trône, en tenue traditionnelle ou en costume, toujours souriant, quelle que soit sa position. Au Maroc, il existe une règle immuable : quel que soit le monarque régnant, celui-ci est une icône. Il est éternellement jeune – la fête de la jeunesse ne coïncide-t-elle pas avec son anniversaire ? – beau, riche et généreux. Malheur à quiconque oserait dire, suggérer ou penser – même secrètement – le contraire.
C’est qu’au Maroc, le culte de la personnalité est porté à son paroxysme ; il fait partie du décor, dispose de son propre folklore. Il a ses chevilles ouvrières, des zélateurs en quête de faveurs. Toutes les occasions sont bonnes pour flatter le monarque et solliciter sa générosité.
Au début de chaque année, à l’occasion des commémorations nationales et des fêtes religieuses, les grandes entreprises et les hommes d’affaires en vue achètent des encarts publicitaires dans les quotidiens et les hebdomadaires afin d’adresser leurs vœux dithyrambiques au souverain et aux membres de la famille royale. Tous les symposiums, toutes les conférences, chaque colloque et rencontre littéraire organisés au Maroc sont placés « sous l’égide et le haut-patronage » soit du roi en personne, soit de l’un des princes ou princesses.
Tous usent des mêmes ruses, et tant pis si elles n’abusent plus personne. Devant les caméras et les microphones, lors de chaque prise de parole en public, ils revendiquent leur allégeance au roi et n’omettent jamais, ô ! grand jamais, de prier le seigneur – celui qui est aux cieux. Ils lui demandent de protéger et déverser ses bienfaits sur son représentant sur terre, Sidna Lay’nessrou, Sa Majesté que Dieu le glorifie. Par connivence et complaisance, forcément intéressées et nullement voilées, ces hommes et femmes publics occultent délibérément les sujets qui fâchent, ceux qui, une fois évoqués, placent le citoyen face à une vérité crue : l’incompétence et l’affairisme des plus hauts responsables du pays.
Tout sportif qui remporte une victoire n’oublie pas, devant les caméras, la ligne d’arrivée à peine franchie ou la fin de la rencontre à peine sifflée, le souffle coupé, les jambes encore flageolantes, le pas chancelant, de dédier son triomphe au sportif numéro un de la nation, le roi évidemment… décidément doué dans tous les domaines. Les étudiants, quant à eux, heureux d’avoir obtenu leur diplôme, doivent remercier à la fois Allah et le roi. Après quelques années de chômage, oseront-ils maudire et douter du premier, médire et demander des comptes au second ? En attendant, les pharisiens de la monarchie leur suggèrent, parfois avec brutalité, de continuer de scander « Vive le roi » s’ils veulent obtenir un emploi. En revanche, personne ne leur dit comment faire pour enfin jouir de leurs droits !
© Youssef Jebri, mars 2011.